« Toujours je veille »
La devise de Jouarre, « Toujours je veille », intrigue par son ancienneté et la méconnaissance qui l'entoure.
Beaucoup pensent qu’elle est liée à un épisode héroïque de la Première Guerre mondiale, où un guetteur, depuis la tour, aurait surveillé les allées et venues au cœur d’une ville entourée de remparts, fermée par quatre portes...
On raconte même qu'il aurait reçu une médaille militaire après avoir résisté courageusement sous les bombardements de septembre 1914.
Pourtant, ce récit populaire, repris encore récemment et sans fondement par le Dr Yves Richard dans son livre sur Jouarre, ne repose pas sur des faits vérifiables. Le nom de ce fameux guetteur reste inconnu et aucune preuve tangible ne soutient l’existence de ces murs ou portes protectrices à cette époque.
Une Médaille Militaire bien réelle

A l’issue de la Première Guerre mondiale, Jouarre reçoit honneurs et décorations militaires.
La position stratégique du bourg, dominant La Ferté-sous-Jouarre, en a fait un espace clé.
En contrebas, le cours de la Marne et les deux ponts qui la traversent ont une importance stratégique. De Jouarre, on les aperçoit.
Et mieux même ! Depuis la Tour, on peut observer les mouvements des forces allemandes qui se retranchent dans le Château de l’Isle.
Dans leur livre Mémoire en images JOUARRE, Vincent Majewski et Karine Lapointe, reviennent bien sur cet élément important de l’Histoire jotrancienne.
Disponible à la vente à la boutique de l’Abbaye ou en consultation à la bibliothèque municipale, ce livre revient notamment sur l’utilisation de la tour de Jouarre par l’artillerie britannique, du 7 au 9 septembre 1914.
Depuis cette position élevée, les soldats de sa Majesté ont repoussé les Allemands stationnés à La Ferté et protégé les opérations de reconstruction des ponts
sabotés par l'ennemi. Ce rôle essentiel joué par la tour pourrait bien être à l’origine de la
légende du guetteur.
En revanche, il est tout aussi fascinant de découvrir que la tour de Jouarre a servi, à une
autre époque, de cible pour les tirs de la « Grosse Bertha », un canon allemand visant Paris
et dissimulé dans les bois environnants. *
Jouarre, par sa position en surplomb de la vallée, a été un point stratégique et un lieu d’observation militaire durant plusieurs périodes de l’histoire, et ce, bien avant la Première Guerre mondiale.
Un repère historique de longue date
L'importance géographique de Jouarre ne date pas d'hier. Dès le Moyen-Age, la tour,
éclairée la nuit, guide les voyageurs à travers les marécages du plateau.
Les cloches y retentissent aussi comme des balises sonores pour ceux qui traversent ces territoires difficiles. La ville marquait alors la frontière entre les possessions des comtes de Champagne et celles de la couronne de France. Plus tard, sous Louis XIII, cette frontière redevient contestée. Par des intérêts… Espagnols ! Jouarre est une nouvelle fois au cœur de
nombreuses tensions politiques et militaires.
Aujourd’hui, la ville conserve cette position de seuil, marquant la limite nord-est de la région Île-de-France. La devise « Toujours je veille » résonne donc comme un témoignage de cette
vigilance historique, liée à la situation géographique unique de Jouarre.
Un héritage spirituel profond
Mais la devise puise aussi ses racines dans la tradition religieuse. En visitant les cryptes de
l’abbaye de Jouarre, on découvre le cénotaphe de sainte Telchilde, première abbesse de l'abbaye.

Contrairement à ce que certains peuvent croire, les motifs présents sur ce tombeau ne représentent pas des coquilles saint-Jacques ( comme cela est d'aillleur affirmé dans le livre du Dr. Yves Richard).
Au VII ème siècle, le pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle n’est pas encore en usage. Les coquilles de Telchilde sont bien des lampes à huile. Ce symbole, puisé dans l’Évangile de saint Matthieu (chap.25) (découvrez le ici) , illustre la parabole des dix vierges, où seules celles ayant gardé leur lampe allumée étaient prêtes à rencontrer le Seigneur sans se perdre dans l’obscurité.
D'ailleur l'inscription sur le tombeau en témoigne :
« De naissance noble et éclatante de mérites, mère de ce monastère, a voulu enseigner à ses filles à courir au-devant du Christ avec leurs lampes allumées. Maintenant, elle exulte de joie dans le paradis.»
Dans un contexte païen, ces lampes symbolisent la renaissance. Dans un contexte chrétien, elles évoquent notre propre résurrection à la fin des temps. La crypte n'est d’ailleurs pas un hommage à la mort, mais un hommage à la résurrection du Christ et à l'espérance du paradis.
Il est tout a fait possible que la position géographique de Jouarre ait inspiré l’usage de cette
parabole pour orner le cénotaphe de la fondatrice. La topographie aurait, bien avant la
fondation de l’abbaye, suscité l’image d’une vigilance constante, celle-là même que sainte
Telchilde et ses religieuses cherchaient à incarner à travers leur foi.
Conclusion : Une vigie historique
Ainsi, « Toujours je veille » trouve son sens à la fois dans la géographie de Jouarre et dans
sa tradition spirituelle. Depuis des siècles, notre petite ville a surveillé les vallées et joué un
rôle crucial dans la protection des territoires voisins, tout en incarnant une foi inébranlable. Si les récits de guetteurs ou de héros militaires peuvent séduire l’imaginaire, il est important de revenir aux racines authentiques de cette devise. Ces mots témoignent d’une vigilance
enracinée dans l’histoire locale et religieuse.
Enfin, je tiens à exprimer ma profonde reconnaissance à sœur Christophe et M Majewski,
dont les précieuses informations ont permis de mieux comprendre cet héritage complexe et
fascinant.
Ensemble, Continuons à veiller sur notre histoire.
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