Auguste Tinchant, né le 28 août 1892 à Marcy dans les Vosges, est issu d’une famille modeste de sabotiers. Très jeune, il est nourri par les valeurs de travail et de dévouement, des idéaux républicains qui forgeront sa vie entière. Cette éducation, ancrée dans l’honneur et le service, le prépare sans doute à la destinée héroïque qui l’attend.
L’histoire d’Auguste Tinchant n’est que rarement racontée pour ne pas dire jamais, et pourtant, elle mérite d’être célébrée. Aujourd'hui, cet article constitue une première tentative de rendre hommage à un homme dont l’engagement et les sacrifices ont marqué la France, la Seine-et-Marne et, en particulier, la commune de Jouarre.
La Première Guerre mondiale : Une carrière marquée par le courage et le sacrifice
Le 2 août 1914, à l’âge de 22 ans, Auguste s’engage comme simple soldat au 170e Régiment d’Infanterie. Sans hésitation, il se jette dans le tumulte de la Grande Guerre. Sur le front, il se distingue très rapidement par sa bravoure, et malgré la dureté des combats, il gravit les échelons, jusqu’à atteindre le grade de sous-lieutenant. Dans les tranchées, il fait preuve d’un courage inébranlable, tenant sa position avec une détermination sans faille.
Les combats lui laissent des cicatrices indélébiles : il est blessé à quatre reprises, chacune de ses blessures témoignant de son engagement total pour la défense de la France. En récompense de son héroïsme, il accumule six citations militaires, signe de la reconnaissance de ses supérieurs et de la nation pour ses faits d’armes. Parmi les nombreuses distinctions qui lui sont décernées, la Médaille militaire anglaise et la Croix de Saint-Georges de Russie symbolisent la reconnaissance internationale de sa bravoure. Cependant, la plus haute distinction qu’il reçoit reste la Croix de Guerre, ornée de six étoiles et palmes, et bien sûr, la Légion d’Honneur, qui lui est conférée le 3 septembre 1918.
C'est enfin le 2 juin 1918 alors sous-lieutenant qu'il fût griévement blessé au crâne, au Bois Belleau : Blessure qui le placait au rang des grands mutillés et qui mit fin à sa carrière militaire.
Auguste Tinchant incarne la devise de « Servir et faire son devoir », une philosophie de vie qu’il applique bien au-delà des champs de bataille. Ses frères d’armes se souviennent de lui comme d’un homme pour qui le mot « devoir » avait une valeur sacrée, un homme prêt à tous les sacrifices pour son pays.
Voici les citations à l'ordre de l'armée relevés sur son dossier militaire :
combat de Mesnil les Hurlus du 13 au 14 Mars 1915 : "Soldat Tinchant Auguste, soldat extremement brave, au moment d'un assaut qui devait être donné à un fortin ennemi redoutable et voyant de l'hésitation parmis ceux qui devaient l'emporter quelques instants plus tard, s'est élancé hors de la tranchée baïonnette au canon en criant " Allez les enfants en avant, vive la France, nous les tenons !"
Le 6 juin 1915 : "D'un calme imperturbable, d'une tranquille bravoure s'est acquitté de missions particulierement perilleuses sous une fusillade d'une violence inouîe."
16 mars 1916 : " Sergeant Tinchant à fait subir des pertes conscidérable à l'ennemi qui venait de contre-attaquer. Est resté 48h dans un trou d'obus sous un bombardement violent."
Le 2 avril 1918 : " Véritable entraineur d'hommes, organise très judiceusement le défence de son groupe de combat. Assailli le 28 mars 1918 par l'ennemi, quoique bléssé, il conduit lui-même par deux fois la contre attaque de ses grenadiers et repousse à leur tête le coup de main boche."
Le 24 avril 1918 : "A brillament entrainé sa section vers l'objectif qui lui était assigné. Cet objectif atteint à pris les dispositions les plus judicieuses pour couvrir le flanc droit de l'Unité de nettoyage, donnant à ses hommes l'exemple du courage et de l'energie.
9 juin 1918 : " Tinchant, sous-Lieutenant au 152e Régiment d'infanterie à été nommé Chevalier dans l'ordre de la Légion d'honneur : "Chargé d'organiser le défense dans le point le plus menacé du bataillon à pris des dispositions les plus judicieuses, se déplaçant constamment et se dépensant sans compter malgrès un bombardement d'une extrème violence. A exalté le courage de ses hommes par l'exemple de sa crânerie et de son dévoument a été grievement blessé à son poste de combat.
Un retour à la vie civile et un engagement sans relâche pour Jouarre
Après la guerre, Auguste revient dans les Vosges, avant de s’installer en Seine-et-Marne, à Jouarre, où il épouse Hélène-Reine Bruneaux en 1923.
Ensemble, ils s’engagent activement dans la vie de la commune, partageant un sens profond de la justice sociale et de la solidarité. Auguste devient secrétaire de mairie, un poste qui lui permet d’être au cœur de l’administration locale et de répondre aux besoins des habitants pendant 18 ans.
Dès 1924, il rejoint l’association « La Fraternelle », qui soutient les anciens combattants de la commune. Bien qu’il n’en soit pas immédiatement le président, il joue un rôle essentiel, œuvrant pour la reconnaissance des vétérans, des veuves et des orphelins de guerre.
Quelques années plus tard, il est élu président de cette association, un poste qu’il occupe avec passion et rigueur. Sous sa direction, « La Fraternelle » organise des événements pour collecter des fonds, et Auguste n’hésite pas à participer lui-même aux spectacles, se produisant sur scène aux côtés de son épouse. Lors d’un gala de bienfaisance en 1936, il incarne avec humour le maire de Courcelles-sur-Morin, offrant ainsi une soirée de divertissement tout en récoltant des fonds pour les anciens combattants.
Il était pour les Jotranciens un homme reconnu et respecté pour son engagement pour la communauté. Anecdote à tous ceux qui attendent le bus a l'arret de la Fontaine Rougeaux... C'est lui qui a bataillé afin de facilité et sans trajets inutile, l'accès de l'autobus aux voyageurs des écarts de l'avenue de la Ferté, Beau-Site, Les corbiers et Venteuil.
Un Combat Politique et Social contre la Montée de l'Extrême Droite
Dans les années 1930, Auguste s’investit également dans la politique. En tant que membre du Parti Radical-Socialiste, il se présente aux élections pour le Conseil d’arrondissement, prêt à défendre les valeurs républicaines face à la montée des forces de droite et d’extrême droite. En 1934, il affronte M. Lancelin, candidat nationaliste soutenu par les partis de droite. Voici un passage de presse de ce qui est dit du candidat Tinchant :
"c'est M. Tinchant, secrétaire de la mairie de Jouarre, radical-socialiste, qui a été investi par la Fédération départementale ; il portera vaillamment le drapeau de la République. Le drapeau tricolore, dans la bataille que prétendent lui livrer les tenants d'assaut du fascisme, groupés sous la bannière blanche de l'agent d'assurances Lancelin.
M. Tinchant qui fut un héroïque combattant et qui garde à ce titre l'affectueuse estime de tous les patriotes sincères, quelles que soient leur nuance politique, est un républicain traditionnel qui compte parmi les hommes de valeur dont s'honore notre arrondissement le parti radical-socialiste.
Secrétaire de la mairie d'une des plus importantes commune du canton. Il est particulierement au courant de la besogne asministrative et il occupera avec compétence la place que les élécteurs l'enverront occuper le 7 octobre prochain."
Sa campagne, marquée par son attachement aux valeurs de justice et de solidarité, lui permet de remporter une victoire mémorable, obtenant 1586 voix contre 1420 pour son adversaire.
Cette victoire est saluée par la presse, qui souligne son engagement pour la défense de la République et sa lutte contre les idéologies nationalistes.
Loin de se contenter de cette victoire, Auguste continue de lutter pour les droits et la dignité des citoyens. Il s’engage aux côtés du Front Populaire en 1936, participant à une grande manifestation à La Ferté-sous-Jouarre en soutien aux réformes sociales de Léon Blum. Auguste, fervent républicain, ne ménage aucun effort pour défendre les droits des travailleurs et l’égalité sociale.
Création des Jeunes Radicaux et de la Section Féminine
Toujours visionnaire, Auguste Tinchant fonde également le mouvement des Jeunes Radicaux de Seine-et-Marne. Conscient de l'importance de préparer la jeunesse aux idéaux républicains, il structure ce mouvement pour encourager l'engagement des jeunes. Pionnier en matière de droits des femmes, il crée également une section féminine, anticipant leur future participation électorale, bien que le droit de vote ne leur sera accordé qu'en 1944. Ce geste audacieux démontre son esprit progressiste et son désir d’une société plus inclusive.
Le dernier acte : Un sacrifice pour la patrie
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Auguste est toujours à Jouarre, occupant son poste de secrétaire de mairie.
En juin 1940, alors que les troupes allemandes approchent, il organise l’évacuation des habitants, veillant à la sécurité des plus vulnérables. Le 13 juin à 9 heures, fidèle à son devoir jusqu'au bout, il est le dernier à son poste pour proceder à l’évacuation des derniers habitants.
Ce jour-là, il se trouvait à l'angle de la Mairie lorsqu'un obus éclate non loin de lui, le blessant grièvement. Il avait le bras gauche sectionné, une forte entaille lui avait ouvert la cuisse et un autre éclat l'avait atteint a sa hanche. Tombé sur le trottoir, perdant son sang en abondance, deux cantonniers le transportèrent sur sa demande dans son bureau; il demanda un verre d'eau. Quelques instant plus tard une ambulance le transportait à Provins où il arrivait vers 10h30. Ses blessures n'étaient pas mortelles mais, en raison du sang qu'il avait perdu une transfusion aurait été nécessaire.
Malheureusement, en raison de la pénurie de sang disponible pour une transfusion, Auguste ne peut être sauvé; il rendit son dernier soupir vers 12h à 48 ans.
Son sacrifice ultime, en plein service, est le reflet de son engagement indéfectible pour sa communauté. Son épouse n'apprit son décès que le 20 aôut, apres avoir passé de longue journée à chercher son corp.
Un Héritage Gravé dans la Mémoire Collective
Aujourd’hui, le nom d’Auguste Tinchant est gravé dans la mémoire de Jouarre. La place centrale, située devant la mairie, porte désormais son nom, rappelant chaque jour aux habitants le sacrifice de cet homme. Son engagement, sa bravoure et son sens du devoir continuent d’inspirer les générations actuelles et futures. Cette reconnaissance publique de son nom est une manière de pérenniser la mémoire d’un homme qui a tout donné pour sa commune et sa patrie.
En 1924, alors qu’il débutait son engagement pour les anciens combattants au sein de « La Fraternelle », Auguste n’aurait sans doute jamais imaginé qu’il deviendrait l’un des héros les plus marquants de Jouarre.
Sa devise, « Servir et faire son devoir », reste inscrite dans les cœurs de ceux qui l’avaient connu, et cet article constitue le premier hommage à cet homme d’exception.
Par son engagement politique, associatif et son sacrifice ultime, Auguste Tinchant demeure un modèle de courage, de dévouement et de valeurs républicaines qui pour longtemps encore doit nous inspirer.
Cet article a été rédigé grâce à des recherches approfondies dans la presse ancienne ainsi qu’à l’étude de son dossier militaire. L’ensemble des sources utilisées pour rendre hommage à Auguste Tinchant, un homme aux valeurs républicaines et au courage indéfectible, sont consultables dans la galerie d’images ici proposée.
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